Comment l’émerveillement et la nature peuvent-ils nous sauver de l’effondrement ?

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Le monde va vite, beaucoup trop vite ! L’information traverse la planète en quelques millisecondes, en quelques heures nous parcourons des milliers de kilomètres, le travail devient oppressant jusqu’au burn-out et nous exigeons tout, tout de suite : nourriture, sexe, argent, pouvoir et ce, avec l’exigence du moindre effort !

Comment descendre de ce manège infernal ? En s’émerveillant !

S’émerveiller, c’est « éprouver un étonnement agréable devant quelque chose d’inattendu qu’on juge merveilleux »(1). Cette faculté, tout enfantine qu’elle puisse paraître, nous est souvent moins accessible une fois adulte. Alors, que se passe-t-il chez l’Homme ? A travers son livre « Le Bug Humain »(2), Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, nous explique pourquoi l’Homme court à sa perte. Nous sommes sous l’emprise de notre cerveau, qui nous rend addict à la consommation. A la suite de cet ouvrage, « Où est le sens ?»(3) nous fait découvrir qu’il est possible de reprendre le contrôle et d’y remédier.

Face à la déliquescence programmée de notre société, nous pouvons donc réagir. Arrêtons de nous plaindre, arrêtons de tout détruire et retrouvons « l’Élan Vital »(4) si bien décrit par la philosophe Sophie Chassat. Réapprenons à nous émerveiller, rééduquons notre cerveau, reconnectons-nous à une vie qui a du sens !

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Depuis l’ère des « chasseurs-cueilleurs » à celle de « pollueurs »(2), l’Homme n’a cessé d’être mené par son Striatum. Le coupable, ainsi nommé, est une structure nerveuse subcorticale (région du cerveau située sous le cortex) qui exerce un grand pouvoir sur nos comportements. Elle sécrète de la dopamine, hormone du plaisir immédiat, en réponse à des comportements simples, liés à la nourriture, au sexe et au pouvoir.
Au paléolithique, le meilleur chasseur de la tribu était perçu comme l’individu dont la lignée avait le plus de chance de survivre. Ainsi le pouvoir, les femmes et la nourriture lui étaient prioritairement attribués. Cette structure archaïque était donc nécessaire au processus de transmission des gènes, pour la survie de l’espèce. Aujourd’hui, elle pourrait bien se retourner contre nous.

Le comportement humain est dépendant de ce shoot de dopamine qui répond à 4 renforçateurs primaires (des récompenses), que sont la nourriture, le sexe, le pouvoir et la réduction de l’effort. Ces sources de plaisir immédiat nous rendent addict. Ainsi, l’Homme ne cesse de courir après la nourriture (fast-food…), le sexe (136 milliards de vidéos pornographiques/an), l’argent et le pouvoir (travailler plus pour gagner plus) et ceci avec le moindre effort et dans l’immédiateté. Nous sommes dépendants de ce fonctionnement, «nous sommes esclaves de nos neurones dopaminergiques qui conditionnent une croissance perpétuelle»(2).

Le monde, dans sa course effrénée, ne sait plus dans quelle direction aller. Cette incertitude active une région du cerveau appelée cortex cingulaire, cet «obsédé du contrôle»(3), qui par réaction en chaîne, génère le stress. Afin de rétablir un semblant de cohérence, nous recréons des «microcertitudes»(3) en réactivant les 4 renforçateurs primaires que sont la nourriture, le sexe, le pouvoir et la réduction de l’effort. Ainsi, l’humain est inexorablement entraîné dans une spirale infernale, entre plaisir et stress, il pourrait bien être anéanti.

Alors, que faire ?

Reprendre le contrôle, c’est agir en conscience, réfléchir et éduquer.

La conscience écologique s’éveille, mais reste source d’écoanxiété, sentiment contre productif, qui génère un mécontentement. La plainte est «biocide»(4), elle «ressasse, patine, radote, empêche d’aller de l’avant»(4). L’«éco-action»(2) est donc préférable. La réflexion doit se porter sur un changement de norme sociale. Elle existe lorsque des individus adoptent un comportement qu’ils pensent conforme à celui de leur groupe social. Ainsi les renforçateurs primaires pourraient devenir l’altruisme, le partage, le temps de vivre et de s’émerveiller.

Des études, en imagerie cérébrale, montrent que le comportement altruiste, active le striatum. Offrir un cadeau, donner de son temps, s’ouvrir aux autres nous fait du bien. Cela agit comme un renforçateur, puisque dans ce partage, comme l’explique le moine bouddhiste Matthieu Ricard : «il ne nous vient pas à l’idée de le faire pour nous sentir bien. Et pourtant, nous nous sentons bien»(4). En Afrique du sud, le mot UBUNTU signifie : «je suis, parce que nous sommes»(2). Ce concept montre que si je respecte les autres, je me respecte. Altruisme et respect sont indivisibles. On peut donc imaginer, que le respect de l’autre, de son environnement, peut être édicté en norme sociale, car il deviendrait un renforçateur aussi puissant que la nourriture, le sexe, l’argent et le goût du moindre effort.

Cette vision est-elle utopique?

Le respect de soi est très tendance. Une grande partie des consultations psychologiques chez les enfants et les adolescents concerne la problématique de l’estime de soi. Le coaching professionnel est souvent axé sur la confiance en soi et la littérature est riche en ouvrages de développement personnel.

Nous voyons donc l’importance de l’éducation au respect, de soi, de l’autre et de son environnement. Cette éducation se fait par une augmentation du plaisir émotionnel et sensoriel (…de vivre ensemble), afin de stimuler notre striatum et avoir notre shoot de dopamine, en toute conscience écologique. Bien entendu, la nourriture, le sexe, l’argent restent à même de stimuler nos sens ; mais sans modération, nous régressons. Pour rechercher le plaisir et stimuler nos 5 sens, il faut retrouver un regard d’enfant, qui selon Baudelaire «voit tout en nouveauté»(4). Nous devons réapprendre à nous émerveiller. L’émerveillement est la fonction essentielle pour construire la «morale écologique»(3), il se produit principalement par le contact avec la nature.

Des neuroscientifiques chinois ont démontrés à l’aide d’imageries cérébrales, que l’émerveillement calme l’activation du cortex cingulaire(3) et donc l’activation du circuit du stress. Il devient même vital. Sophie Chassat fait mention du «nature-deficit disorder»(4) (trouble du déficit de nature) dont Richard Louv décrit les symptômes chez les enfants : trouble de l’attention, troubles visuels, troubles psychomoteurs et troubles exécutifs. De même, il décrit les bénéfices scientifiquement démontrés du contact avec la nature sur notre corps, notre psychisme, notre créativité et notre empathie.

L’empathie est une faculté nécessaire à l’altruisme, elle se développe donc parfaitement au contact de la nature. Se reconnecter à la nature ne se présente plus seulement comme un remède au stress, cela devient une exigence vitale.

Comment se connecter et apprendre à s’émerveiller ?

Lorsque nous allons vite, le monde défile sans que nous puissions seulement fixer un point. Alors freinons, ménageons-nous des temps de pause.
La nature est source d’émerveillement, elle est complexe, changeante et pleine de trésors. Observons : végétaux et animaux vivent en harmonie, cet équilibre est dicté par les cycles solaires et lunaires ; au fil des saisons, le changement est continu.

L’observateur novice n’aura donc pas le temps de s’ennuyer. Pas à pas, il apprendra à s’étonner des ressources infinies de la nature et peu à peu il deviendra attentif à ces moments de plénitude, loin du stress urbain de son quotidien. Chez le jeune enfant, l’émerveillement est plus spontané, mais il doit être entretenu par l’action éducative des parents. Les bénéfices cognitifs sont démontrés et l’enfant, en grimpant aux arbres, observe, planifie et développe sa motricité. La nature est un merveilleux terrain de jeux, dont les bénéfices sont immenses surtout en cas d’addiction. Elle est source de plaisir, elle est donc capable de stimuler notre striatum et nos neurones dopaminergiques.

Avant que notre striatum ne devienne « obèse »(2) et que la surconsommation ne détruise notre environnement, nous devons partager, enseigner et militer pour le droit à l’émerveillement et l’ériger en norme sociale. La reconnexion à la nature est ainsi nécessaire au développement de l’« élan vital »(4). Elle nous permet de comprendre « où est le sens »(3) de notre existence, afin d’éviter « le bug humain »(2), si dommageable pour notre existence, et ce à moindre frais.

Voir la vidéo de Sébastien Bohler sur le « Bug humain »

Références :

(1) Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2010.
(2) Sébastien Bohler, Le bug humain. Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Pocket, 2021.
(3) Sébastien Bohler, Où est le sens? Les découvertes sur notre cerveau qui changent l’avenir de notre civilisation, Pocket, 2022.
(4) Sophie Chassat, Élan vital. Antidote philosophique au vague à l’âme contemporain. Calmann Levy, 2021.

Marie-Gabriel EYMERY Psychologue

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